UNE FERMETURE ÉCLAIR À LA FRONTIÈRE

Parfois, je pars d’une idée qui évolue dans une direction complètement différente, parce que j’aime garder l’esprit ouvert aux influences de la vie, y compris l’actualité. Si je termine une œuvre en quelques semaines ou quelques mois, le résultat final reste généralement assez proche de ma vision de départ. Mais si ça prend des années, au moment où je finis, je suis devenue une personne complètement différente. La plupart de mes cellules se sont évidemment régénérées entre-temps.

J’ai récemment terminé une peinture qui a pris naissance à partir de personnages que j’avais créés numériquement en 2021. J’ai souvent l’habitude de découper ou de modifier mes œuvres numériques avec divers filtres dans d’autres applications. Dans l’image ci-dessous, j’ai utilisé une application miroir, ce qui a inévitablement donné lieu à une symétrie. 

 

Quelques années plus tard, les yeux troublants de ces personnages continuaient de me hanter. J’ai décidé d’en faire une autre version sur toile. Alors que l’interprétation numérique est plus mystérieuse et feutrée, la peinture finale, elle, est carrément une déclaration politique.

J’ai commencé par peindre grossièrement les têtes, puis j’ai transformé la fente centrale en fermeture éclair. J’ai choisi de ne pas rendre les têtes superposées transparentes comme dans la version numérique. Pas de fantômes cette fois, juste des personnages bien solides.

Les photos d’étapes ci-dessous montrent une grande variation de couleurs puisqu'elles n’ont pas été prises dans des conditions d'éclairage idéales, mais elles donnent malgré tout une bonne idée du processus.

 

Je voulais que la zone autour de la fermeture éclair ressemble à un mur de pierre impénétrable. En utilisant de la pâte acrylique et une vieille carte de crédit, j’ai réussi à créer une illusion assez convaincante.

 

Ensuite, j’ai peint des fissures à la surface, sachant que j’y reviendrais plus tard pour les adoucir ou les accentuer au besoin.

  

Le ciel était trop gris et déprimant, alors je l’ai transformé avec un bleu foncé, en y ajoutant, comme dirait Bob Ross, de « joyeux petits nuages » (qui se sont ensuite volatilisés).

  

Pendant ce temps, j’alternais entre fixer le tableau et regarder les reportages de nouvelles sur des gens visés par des expulsions au sud de la frontière. J’étais horrifiée de voir des personnes rassemblées comme du bétail pour des raisons obscures ou carrément injustes.

Historiquement, on utilisait le pilori pour punir ceux qui ne marchaient pas droit. Il semble que les gouvernements préfèrent les citoyens obéissants, presque robotiques. J’ai donc mis mon personnage central au pilori en peignant des mains sortant du mur, puis j’ai ajouté des chaînes bleues et rouges. Au début, elles ressemblaient trop à des cordes de bungee, trop ludiques, alors je les ai retravaillées avec de la peinture métallique, dans des tons de laiton et d’argent.

 

Le ciel a encore changé plusieurs fois, et les joyeux petits nuages ont complètement disparu.

  

Détail de la main droite enchainée

Mon pauvre personnage central est resté si longtemps emprisonné dans le pilori qu’un pissenlit a fini par pousser à travers une fissure du mur et s’est accroché à sa main droite enchaînée.

  

 J’ai continué à peaufiner la fermeture éclair et sa tirette.

 

Après quelques ajustements, les visages sont devenus plus texturés et expressifs. L’un des personnages s’est retrouvé avec une couronne de fil barbelé, tandis que le ciel devenait plus sauvage.

 

Me voici avec l’œuvre terminée, qui révèle son échelle réelle.


La toile est présentement dans l’exposition collective "Liens et ruptures" au centre d’artistes autogéré Gueulart, à Saint-Isidore. Je fais partie d’un groupe de neuf artistes visuels et d’un musicien qui se rencontrent régulièrement pour échanger et planifier des expositions et performances futures.

Les autres membres du groupe sont : Claudine Ascher, Jacques Bossé, Allen Hessler, Beverley Wight, Geneviève Sideleau, Nasco Kafadarow, Susan Fowler et Lisa Kimberly Glickman. La musique originale est composée et interprétée par Jim Robinson.

L’exposition se poursuit jusqu’au 16 novembre 2025. C’est une belle façon pour nous de grandir, à la fois individuellement et comme collectif.



Comments